Le Réseau Caritas France, créé par le Secours Catholique-Caritas France, vient dévoile les noms de la lauréate et de ses finalistes de cette première édition du Prix Caritas Photo Sociale. Le jury, présidé par agnès b., a désigné Aglaé Bory comme lauréate avec sa série « Odyssées ». Les deux finalistes sont Myr Muratet et Julie Joubert et une mention d’honneur a été décernée à Pierre FAURE pour son travail sur la pauvreté en France. PICTO FOUNDATION est partenaire de ce nouveau prix photographique.
La lauréate recevra une dotation de 4 000 €. Sa série fera l’objet d’un livre aux éditions Filigranes. Une exposition aura lieu à Paris à l’automne, avec des extraits des photographies des 3 autres finalistes. Les oeuvres des photographes bénéficieront d’une large visibilité à travers d’autres événements en région d’ici fin 2021.
Le Réseau Caritas France vient de lancer la première édition du Prix Caritas Photo Sociale visant à soutenir et encourager les photographes qui travaillent sur les mêmes sujets de préoccupations que le réseau : pauvreté, précarité et exclusion en France. Il a souhaité créer une alliance pérenne entre le monde de la photo et les acteurs experts de la lutte contre la pauvreté que sont les membres du Réseau. Pour la création et la mise en oeuvre du Prix, il s’est associé au collectif FETART.
ODYSSÉES – Aglaé Bory
Odyssées est un travail photographique sur l’exil réalisé dans la ville du Havre. L’Odyssée d’Homère raconte l’histoire d’un retour qui n’en finit pas. Le retour d’Ulysse à Ithaque après vingt longues années d’absence. Ce travail est un écho à ce récit de voyage originel. Aglaé Bory a suivi plusieurs personnes en situation d’exil, demandeurs d’asile ou réfugiés, le plus souvent en attente de statut. La plupart d’entre eux vivent dans des centres d’hébergement en attendant la réponse de l’administration. L’attente est souvent longue et douloureuse. Elle les isole du réel et les enferme dans un espace mental en suspens. A travers cette succession de portraits et de paysages, la photographe voulu créer une correspondance entre leur intériorité et les paysages dans lesquels ces personnes évoluent afin de rendre perceptible ce sentiment d’exil. Elle les a photographiés dans leurs lieux de vie, dans leur territoire quotidien bien que précaire et temporaire. Leurs regards se perdent à travers les fenêtres. Ils sont dans le flou. Ils s’en remettent souvent au ciel, dont l’azur semble pourtant les ignorer.
La mer est le refuge de leur intériorité, de leurs espoirs et leurs promesses. Elle est la réalité physique de la distance parcourue souvent ils l’ont traversée pour arriver jusqu’ici et de l’éloignement. Tous souffrent de déracinement et d’inquiétude quant à leur avenir. Lorsqu’ils ont acquis un statut de réfugié, la rupture avec leur pays d’origine est une obligation, le retour y est impossible. Quand ce statut leur est refusé, le retour devient une obligation, ils doivent quitter le territoire français. Ce retour devient alors le symbole de leur échec quand il ne constitue pas un danger pour leur vie. Le retour est ainsi tout à la fois rêvé et craint.
Ce sont des histoires de retours impossibles ou impensables, d’attentes interminables après des parcours migratoires éprouvants et dangereux, d’espoirs de vies meilleures, loin des guerres et des persécutions. Mais que deviendront Mohammed, Ibrahim, Goar, Abdelrazik, Hiba ? Ces derniers attendent tous leur convocation à la Cour Nationale du Droit d’Asile après un refus de l’Ofpra à leur demande d’asile. Notre pays, à l’instar de l’Europe toute entière, traverse une grave crise de l’accueil des personnes migrantes et se retranche derrière ses frontières. L’attente interminable que vivent ces exilés n’est que l’expression de l’hésitation de notre société à les accueillir véritablement.
Ce travail a été réalisé en 2018 dans le cadre d’une résidence photographique dans la ville Du Havre produite par le festival le Goût des Autres. Un film photographique a été projeté lors d’une projection unique durant le festival en janvier 2019.
Après avoir étudié l’Histoire de l’Art à l’université d’Aix-en-Provence et la photographie à l’Ecole Nationale de Photographie d’Arles, Aglaé Bory vit et travaille depuis vingt ans à Paris. Le travail d’Aglaé Bory a été présenté dans le cadre de plusieurs festivals en France et à l’étranger (Festival Circulation(s), Photofolies, Bourse du Talent, Voies Off, Quinzaine Photographique Nantaise…) a fait l’objet de différentes expositions individuelles et collectives ( La Conserverie, Galerie du Château d’Eau, Bibliothèque Nationale de France, Les Nuits Photographiques de Pierrevert …). Son travail « Corrélations » a reçu plusieurs distinctions ( KL Photo Awards, Bourse du Talent…) et est entré en 2009 dans le fond photographique de la Bibliothèque Nationale de France. Un livre de ce travail est paru aux Editions Trans Photographic Press en 2011.
Aglaé Bory fait partie du corpus de travaux photographiques « France(s) Territoire Liquide » dont un livre a été publié aux éditions du Seuil en 2014. En 2019, elle fait partie des photographes sélectionnés pour la commande du CNAP, « Flux, une société en mouvement » avec son projet documentaire » Figures mobiles ». En octobre 2019 elle est la marraine du festival les Rencontres Photographiques du Xème dans le cadre duquel elle honore une commande, « Les Garçons d’en bas”.
LES FINALISTES : MYR MURATET & JULIE JOUBERT
Depuis plus d’une quinzaine d’années, Myr Muratet, photographe résolument urbain, circonscrit sa recherche photographique à un territoire bien défini, partant de la gare du Nord jusqu’à la banlieue, de la porte de la Chapelle à celle des Poissonniers et ses marchés informels.
C’est dans ce triangle du nord de Paris que les flux migratoires – sans-papiers, réfugiés SDF, Roms, polyconsommateurs – convergent, rendus invisibles, dans le paysage urbain que fréquentent les Parisiens au quotidien. Et c’est là aussi où est né, vit et opère ce photographe en marge de tout réseaux associatifs.
Chaque renfoncement est un abri potentiel qu’on cherche à éliminer. Un constat qui depuis revient comme un leitmotiv, montrant comment s’exerce le contrôle du pouvoir sur la moindre portion de territoire.
« Je ne fais pas un travail sur les pauvres, nuance-t-il, je cherche à voir comment les gens qui n’ont rien ou pas grand chose essaient de se construire une existence. Et montrer comment ceux qui résistent… ne résistent pas vraiment. Ils sont plutôt dans l’évitement. On ne résiste pas au pouvoir et à la force. » Partant de ce constat il s’est également attaché à rendre visible les formes infinies des dispositifs anti-personnels mis en oeuvre pour contraindre les populations précaires.
Son travail photographique implique la ville – celle où il vit –, mené depuis ses crans. Multipliant les allers et retours dans les lieux observés et au gré des rencontres avec les personnes photographiées, des années durant.
Ainsi réalise-t-il Paris-Nord, une série de photographies sur des usagers de la gare du Nord et les dispositifs mis en place pour les « contraindre ». Depuis 2003. Plus récemment, et sans pour autant interrompre les séries entamées – qui se chevauchent et accomplissent la « saillie » d’une topologie des formes et dispositifs adoptés par les acteurs des procès, processeurs, et autres procédures – politiques vastement de dévastation – techniciens de surface à la botte des Petits Marquis de « L’Administration de la contention » –, Wasteland, CityWalk, recherches en cours autour des notions d’occupation et d’invasion menée dans les friches urbaines de Seine-Saint-Denis. Il s’agit peut-être de dresser et de dépasser la figée photographique d’une concaténation systématique de systèmes de Contre-insurrection : les intersections de ces différentes séries cristallisent les enjeux de domination et d’abus de tous les pouvoirs, numériques, économiques, esthétiques ; dérisoires TOUJOURS effectifs, soit un chant de condensation pour les espaces meurtris et les espèces qui les habitent : Cantos de mala compensación.
Julie Joubert a rencontré Ahmed en 2017 dans un centre de réinsertion pour jeunes en difficulté. Via les réseaux sociaux, ils se sont retrouvés deux ans plus tard. Diminutif, surnom, pseudonyme: MIDO est un moyen de brouiller les pistes de sa trajectoire incertaine. Se présentant sous différentes identités au fil de ses rencontres, Ahmed se cache autant qu’il a l’envie d’être découvert. A travers un parcours de vie chaotique ponctué d’éléments douloureux, il survit avec le rêve de devenir modèle. Touchée par sa grande fragilité, son caractère autodestructeur ainsi que sa capacité à se dévoiler, Julie Joubert décide alors de le suivre dans son quotidien dans le quartier de Marx Dormoy à Paris.
Menacé d’expulsion puis incarcéré, le projet continue sous de nouvelles formes d’écritures. En effet, malgré son absence, Ahmed et Julie Joubert sont restés en contact. Des photographies à la volée qu’elle a prises au parloir du Centre de Rétention Administrative aux images qu’Ahmed a pu lui envoyer de sa cellule en prison, l’image pixellisée des vieux téléphones portables s’est imposée comme le moyen de restituer ce contexte. La fragilité de l’image basse définition coïncide alors avec la perte progressive de liberté.
L’utilisation de ces différents moyens de captation (numérique, jetable, images prises au téléphone portable) répondent à une cohérence esthétique nécessaire face au sujet. D’une réalité fantasmée à l’enfermement bien réel, de la fiction picturale à l’abstraction du pixel, les différentes qualités d’image accompagnent chacun des aspects de la vie d’Ahmed. Comme un miroir fragmenté, ces photographies dressent le portrait de ce jeune en devenir, se cherchant encore et toujours dans d’une société où il peine à trouver sa place.
Photographe diplômée de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, Julie Joubert s’approprie des thématiques sociales afin de rendre visibles ceux qui sont continuellement mis à l’écart. A la lisière du documentaire, ses photographies invitent le spectateur à modifier la perception qu’il peut avoir de ces individus à travers la sublimation de ces visages et de ces corps. Tout en maintenant une certaine distance, elle cherche à mettre en lumière l’authenticité et la singularité de ses sujets. A travers des images dépouillées de tout artifice, elle questionne le rapport à l’Autre et sa représentation. L’aspect documentaire de son travail écarte toute anecdote pour restituer l’essentiel: la fragilité de la présence humaine.
Jeune artiste, son travail a été présenté lors de différentes expositions en France : les Magasins généraux à Pantin, la Galerie Houg à Paris ou encore lors de La Nuit de la photographie dans le cadre du festival 9ph à Lyon. Une exposition à la galerie Julio Artist-run Space est également en préparation pour 2020.
MENTION D’HONNEUR DÉCERNÉE À PIERRE FAURE
Économiste de formation, Pierre Faure documente depuis 2015 la montée de la pauvreté en France. Le titre « France Périphérique » est emprunté à l’ouvrage éponyme du géographe Christophe Guilluy qui aborde les problématiques politiques, sociales et culturelles de la France contemporaine par le prisme du territoire. Il s’intéresse à l’émergence d’une « France périphérique » qui s’étend des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu’aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes. Il souligne que désormais 60 % de la population — et les trois quarts des nouvelles classes populaires — vivent dans cette « France périphérique », à l’écart des villes mondialisées.
La France compte 8,8 millions de pauvres (INSEE, 2016). 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 672 euros par mois (pour une personne seule). Comble pour l’un des premiers producteurs agricoles mondiaux, pour manger, près de deux millions de personnes auraient eu recours à l’aide alimentaire en 2015 (Observatoire des inégalités).
Pierre Faure s’intéresse aux évolutions qui modifient la société française en profondeur, sur le long terme. La pauvreté a baissé à partir des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’au début des années 2000, puis elle a augmenté. Depuis 2004, le nombre de personnes pauvres a progressé de 1,2 million (+ 30 %). Ce mouvement de hausse constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés (source : L’Observatoire des inégalités). L’objectif est de constituer un témoignage photographique de la hausse structurelle de la pauvreté dans l’hexagone.
Pierre Faure est né à Nice et travaille sur l’ensemble du territoire français. Il a étudié les sciences économiques. En 2010 il décide de se consacrer entièrement à la photographie. Membre du Studio Hans Lucas depuis 2013.
Il produit d’abord un travail dans lequel l’abstraction et les évocations organiques occupent une place centrale (séries «rhizomes», «plis» et «palimpsestes») ; des séries qui interrogent le regard du spectateur et jouent avec les notions d’échelle et de perspective.
Il aborde ensuite la question sociale en réalisant un travail d’immersion au sein d’une communauté tzigane d’Île-de-France (2011-2012).
En 2013 et 2014 Pierre Faure s’intéresse à la vie de personnes en grande précarité accueillies en centre d’hébergement d’urgence et tente de saisir dans ce quotidien les figures d’une humanité blessée («Les Gisants», 2013, «Le Bateau», 2014). En parallèle à ces travaux il poursuit depuis 2010 une série sur les arbres urbains, interrogeant la place du végétal en milieu urbain. Depuis 2015 il documente la montée de la pauvreté en France, en parcourant l’ensemble du pays, il y consacre environ deux cent jours pas an. Pierre Faure répond à des commandes corporate, essentiellement dans le domaine social (Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, CASP,…).
INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition de la lauréate et des finalistes du Prix Caritas Photo Sociale
Date : Automne 2020
Lieu : La fab. agnès b.
http://www.aglaebory.com
http://www.myrmuratet.com
http://www.juliejoubert.com
http://www.pierre-faure.com